dimanche 26 mai 2013

Aller vivre ailleurs : la remise en question de valeurs profondes


Aller vivre à l'autre bout du pays requiert tout d'abord une remise en question de ses valeurs profondes, à savoir :

1- Relations sociales
Qu'est-ce que représente pour moi "être en relation" avec mes amis, ma famille? Est-ce que le fait d'être physiquement proche ou loin d'eux a une réelle importance pour moi? Est-ce possible de vivre mes relations autrement qu'en étant en présence physique de mes proches, et si oui, est-ce que ces moyens de vivre mes relations seront aussi satisfaisants qu'en étant en leur présence?

2-  Environnement
Quelles sont les caractéristiques propres et uniques à mon environnement actuel, et quelle est leur importance pour moi? Pourrais-je m'en passer sans souffrir?

3- Activités
Quelles sont les activités qui m'apportent le plus de bonheur brut, et à quel point sont-elles accessibles dans mon environnement actuel? Est-ce qu'il y aurait un autre endroit dans le monde où je pourrais encore plus profiter de ces activités?

4-  Risque vs statut quo
Est-ce que le risque d'être malheureux en allant vivre ailleurs est tellement élevé que je préfère être "juste bien" dans mon statut quo, quitte à vivre moins d'expériences nouvelles? Qu'est-ce que je risque, au fond?

Pour chaque question, voici quelques unes de mes réflexions...

1- Relations sociales

Beaucoup de gens ne s'imaginent pas vivre ailleurs car ils ne peuvent envisager être loin de leurs amis et de leur famille. Je croyais la même chose auparavant, et c'est une pensée légitime qui mérite réflexion avant de poser le geste de partir. Je pense personnellement qu'il y a des personnes pour qui ce sera plus facile que d'autres d'aller vivre ailleurs, tout dépendant de la personnalité de l'individu et de la fréquence d'exposition aux relations sociales qu'il était habitué de vivre dans son quotidien.

Pour ma part, je n'ai jamais été hyper à l'aise dans les contextes sociaux où il y a plus de 2-3 personnes (anxiété du tour de parole et de la pertinence du propos), préférant les contacts 1:1. En moyenne, je pourrais quantifier à "1 ou -" mon exposition hebdomadaire à des amis dans mes temps libres du temps où j'habitais au Québec. Ayant eu à quitter le nid familial à 16 ans pour aller étudier au CÉGEP, j'étais déjà habituée à un contact limité avec ma famille, qui se résumait environ à 1x aux 3 mois dans les dernières années.

Pour les gens qui ont des soupers d'amis à toutes les fins de semaine et qui ne peuvent passer une soirée sans être occupé à aller prendre une bière avec un tel ou un café avec tel autre, faire des sports d'équipe ou être dans des clubs de ci ou de ça,  j'avoue que l'adaptation doit être plus difficile, donc un plus grand défi pour ces personnes d'aller vivre ailleurs. En résumé, aller vivre à Whitehorse n'était pas pour moi un grand changement de routine au niveau social dans mes temps libres.

Biensûr, Skype peut pallier au manque de proximité d'une certaine façon. Je peux couper mes légumes pour le souper en parlant à mes parents, avoir une conversation avec une amie en prenant une bière chacune sur notre patio, etc. Skype permet à 2 ou plusieurs personnes de se rencontrer à partir de 2 espaces physiques différent qui se combinent en un espace virtuel commun, et honnêtement je ne pense pas que mon cerveau fasse la différence avec cette situation et celle où je suis en réelle présence des individus en question.

Les limites de Skype se font sentir au niveau des activités partagées, car je ne peux pas aller en randonnée avec mes amies de physio sur Skype. Je ne peux pas prendre un spa avec mes parents sur Skype, ni regarder le coucher de soleil au chalet sur Skype. Biensûr qu'il y a des moments où ces activités me manquent, et je serais bien menteuse d'en affirmer le contraire. Mais en même temps, cela fait partie de la "game", et c'est en quelque sorte le prix à payer pour pouvoir être ici et faire du vélo sur des routes entourées de montagnes, voir des rivières bleues turquoises au quotidien, pouvoir camper n'importe où gratuitement avec des paysages de fous autour de nous, voir des aigles de mon balcon.

Il y a les relations sociales au travail qui représentaient une bonne importance pour moi, et le fait d'être maintenant dans un milieu anglophone - même si je me débrouille pas si mal - représente quand même une limite à mon épanouissement complet à ce niveau. Il y a une marge entre "se débrouiller et se faire comprendre", et pouvoir participer quand les gens font de l'humour abstrait sur l'heure du midi. Il y a donc clairement une barrière linguistique qui bloque partiellement mes relations sociales au travail depuis que je suis à Whitehorse, malgré que mes collègues de travail soient hyper sympathiques et supportants et qu'ils fassent leur gros possible pour m'intégrer. À la fin d'une journée bien remplie, la fatigue du cerveau a juste le goût de dire "fuck l'anglais" et rentrer chez eux sans parler à personne. Cet obstacle était prévisible, je ne m'attendais pas à ce que ce soit parfait dès le début. Toutefois, je peux dire que l'énergie que ça me demande à parler anglais est de moins en moins importante avec les semaines, donc dans quelques mois j'imagine que je ne verrai plus la différence.

Donc pour faire un résumé de mon idée (car je sens que ces derniers paragraphes n'avaient pas vraiment de fil conducteur et était davantage un ramassis d'idées...)si on veut aller s'installer à l'autre bout du pays sans trop souffrir du manque de proximité de ses proches, il faut:

1- envisager d'autres façons de vivre nos relations (dans mon cas, par skype, par courriel, via ce blog) et apprivoiser l'idée qu'il y aura des moments où ces façons ne pourront correspondre complètement à ce que nous vivions avant, mais que cela est le prix à payer pour vivre des expériences nouvelles.

2- comprendre que tout dépendant notre personnalité et notre exposition antérieure aux relations sociales, le défi à relever sera plus ou moins grand.


2- Environnement
Posez-vous la question: qu'est-ce qu'il y a dans ma ville actuelle que je ne pourrai pas retrouver ailleurs (on ne parle pas de "personnes" mais bien d'environnement physique) et qui est tellement important pour moi que je ne pourrais pas m'en passer?

Dans mon cas, je n'ai pas su trouver; sorry for you Québec. Il faut dire que je n'ai jamais profité des attraits de la ville autant que d'autres puissent le faire. Les restos, le cinéma et les activités culturelles n'ont jamais fait vraiment partie de mon quotidien. Il y a les bières sur les terrasses de micro-brasserie qui, j'avoue, me manquent ici, mais c'est pas mal la seule chose qu'on retrouve à Québec et à Montréal que je ne retrouve pas à Whitehorse, et entre vous et moi, une bière sur le balcon en regardant les montagnes, ça peut bien faire la job aussi.

Encore une fois, c'est une question d'exposition. Si vous étiez le genre de personnes à se retrouver souvent dans les musées et courir les expositions, aller voir des shows de musique de bands connus régulièrement, aller au cinéma et dans les bars, aller magasiner souvent, heh bien oui, vous allez peut-être la trouver plus difficile de déménager dans une petite ville comme Whitehorse, bien qu'au niveau culturel ce soit assez développé.

C'est certain que le Québec éveillera toujours mon système limbique (je vous laisse aller chercher... petit défi tiens!) d'une façon particulière, car c'est là d'où je viens, et ça occupe une place spéciale dans mon coeur. Toutefois je ne peux pas dire que le Québec soit le seul endroit au monde où je puisse vivre ma vie dans le bonheur le plus complet, et là est la nuance.

3- Activités

 Les activités qui me rendent le plus heureuse, ce n'est pas compliqué: être au sommet d'une montagne, être dans les sentiers de ski de fond ou de raquette, regarder le comportement des animaux sauvages. Il est possible de pratiquer ces activités au Québec, mais les paysages sont beaucoup moins spectaculaires (sans vouloir rien enlever aux montagnes de Charlevoix ou de l'Estrie). Aussi, l'accès à ces endroits au Québec requièrent toujours quelque heures de route (à moins d'y vivre évidemment), alors qu'ici on peut avoir accès à des paysages sensationnels à quelques kilomètres seulement, et parfois même à quelques minutes à pied. Sur l'heure du midi au travail, tu peux prendre ton vélo et te rendre à un point de vue sur les montagnes afin de décompresser, ce qui en soit augmente considérablement ma qualité de vie je dois l'avouer. Ce n'est pas que le plein air n'était pas possible au Québec, bien au contraire. C'est simplement qu'il était moins accessible comparativement à une ville comme Whitehorse.

4- Risque vs statut quo

Et au fond, que risque-t-on vraiment à partir? Peut-être serez-vous plus malheureux, mais alors vous pourriez revenir après quelques mois si c'était le cas, alors où est le problème? Peut-être devrez-vous sacrifier votre poste permanent et tous vos avantages sociaux, mais quel est le poids de cet argument contre tout ce que vous pourriez gagner à vivre de nouvelles expériences? Peut-être avez-vous des enfants, et le fait de les sortir de leur environnement connu vous fait craindre qu'ils ne tolèreraient pas le changement. Pourquoi ne pas essayer avant de supposer une telle chose? Je connais des gens qui ont quitté le Québec avec leurs enfants, et encore cela dépend-il de leur personnalité, mais la plupart se sont super bien adaptés à leur nouveau milieu. Peut-être vous dites-vous "toutes les démarches que ça implique - voir ma capsule sur la bureaucratie - ça me demanderait beaucoup d'énergie pour quelque chose qui finalement ne marcherait peut-être pas". Alors si je comprend bien, il serait préférable d'avoir des regrets plus tard que de prendre la chance de mettre son énergie sur ces procédures, c'est bien ça?

Je ne veux pas tenter de faire la morale, et je suis bien consciente que changer de vie n'est pas une décision facile et que je dois paraître bien condescendante du haut de mes 27 ans, sans enfant, sans maison ou condo, sans poste permanent au Québec, de vous dire que cela est accessible à tout le monde de partir si on le veut bien. Je veux juste vous faire réaliser que les barrières qui nous empêchent de réaliser nos rêves sont souvent une pure invention de notre esprit, et que si on décide de faire tomber ces barrières, une tonne de possibilités s'ouvrent devant nous. Il est facile de se donner des raisons de ne pas vivre nos rêves, de se laisser écraser par nos obligations, mais si on prend notre perspective et qu'on lui fait faire un tour de 180°, on peut être surpris des options qui s'offrent à nous.

Il faut juste être prêt à tenter quelque chose de différent, à peut-être travailler dans un domaine qu'on n'aurait jamais imaginé avant, et qu'on se sent pas tant compétent au début, mais qu'avec le temps on apprend à maîtriser. À parler une langue différente au quotidien. À peut-être vendre notre maison de banlieue pour temporairement habiter dans un 4 1/2. À vendre son ensemble de meubles de chambre en pin qui avait coûté si cher mais qui finalement nous apporte pas autant de bonheur qu'on aurait pensé. À penser que pour un certain temps on sera peut-être pas autant épanoui qu'avant au niveau social, mais que si on se force un peu à connaître les gens autour de nous, on va découvrir du monde qui nous ressemble et qui peuvent nous apporter peut-être un peu plus que nos amis du secondaire avec qui on se raconte toujours les mêmes histoires. À ne plus aller prendre le repas du dimanche soir chez nos parents mais plutôt entretenir des courriels hebdomadaires où les échanges sont tellement plus riches que lors des repas du dimanche soir, ce qui finit par nous rapprocher.

Ah pis je sais bien que finalement je suis moralisatrice. Désolée. Je n'en peux plus de me faire dire "t'es tellement chanceuse" ou "j'aurais tellement aimé faire ça". Si vous aviez vu toutes les démarches que j'ai faites pour pouvoir être ici, vous ne diriez pas que je suis "chanceuse". J'ai travaillé fort pour réaliser ce rêve, on ne peut pas dire que c'est de la chance. J'avais seulement un rêve et j'ai décidé que je faisais les efforts pour qu'il se réalise, c'est tout.

Je fais la morale oui, et ce n'est pas que je trouve ça incorrect d'avoir un poste permanent et une maison de banlieue, car c'est vrai qu'il y en a qui sont heureux dans cette situation et c'est bien correct comme ça, car au fond c'est tout ce qui importe, être heureux. Je m'adresse plutôt à ceux qui ont un poste permanent et qui ont une maison de banlieue (ou non), mais qui ne sont pas heureux, et qui se disent "j'aurais aimé ça moi aussi". Par cette chronique, j'aimerais épargner les regrets à ces quelques-uns, ces quelques-uns qui chérissent l'idée de s'évader un jour et repartir à zéro, mais qui se sentent écrasés par des barrières invisibles, des barrières qu'ils ont le pouvoir de faire tomber.

J'aimerais que ces quelques-uns se disent "oui, c'est peut-être possible finalement", et que dans quelques mois je reçoive un message privé de leur part pour me dire: Merci.

S.



6 commentaires:

  1. En plus d'avoir une belle plume, tes propos sont pertinents et portent à réflexion. Je ne compte pas m'exhiler, mais... merci pour ce blog :)

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  2. Contente d'avoir des nouvelles, je commençais à avoir hâte! Ton texte est bon et je suis contente que tu sois bien et heureuse. Te toucher me manque, te serrer et dire "ma puce russe" aussi! Te voir faire à souper avec ton père...mais au moins tu pleures pas dans l'fin fond du Yukon, ça ...ça me mettrait à l'envers! Je me sentirais donc loin. C'est vrai qu'on est plus proche depuis que t'es loin, c'est fou! Moi aussi je te trouve chanceuse, mais sa chance on se la fait! On a vécu ça en partant 3 mois dans l'ouest, "vous êtes chanceux d'être capable de vous permettre de faire ça" Y a pas juste l'argent dans ça, il faut quitter les proches et partir vers l'inconnu, oser parler anglais et se débrouiller. Ex: T'as beau être plus "en moyen" si t'es insécure de nature, tu peux te trouver plein de raisons pour justifier que toi tu peux pas vivre ça, plutôt qu'admettre que tu te sens pas capable de faire le "move"! Sof tu ne parles pas de la clarté qui "finit pu", est-ce que tu t'habitues? Tes stores sont-ils assez opaques pour t'endormir facilement?
    Merci pour ce beau texte! XXXX

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  3. Effectivement, et concernant l'argent, c'est encore une question de volonté. Souvent il est possible de prendre un différé, ou alors de se mettre de l'argent de côté pendant X années, même si ça prend du temps. Les gens veulent juste pas faire l'effort de sacrifier certaines dépenses afin de réaliser leur rêve (ex le resto du jeudi soir, les 3 bouteilles de vin du week end - vendredi, samedi, dimanche -, ou le parking payant au travail qu'ils pourraient s'épargner s'ils prenaient leur vélo ou allaient se parker plus loin où c'est gratuit). Aussi, il y a toujours des moyens plus "cheap" de voyager que d'autres, et donc si on veut vraiment partir, on a juste à sacrifier un peu son confort ou sauver un peu sur les restos, et soudainement partir 3 mois en voyage requiert moins d'argent qu'on l'aurait pensé.

    Pour l'histoire de la clarté, on a réussi à trouver un montage convenable pour que ce soit noir dans la chambre, mais c'est un problème pour se lever le matin, car le signal de lumière qui habituellement fait stopper la sécrétion de mélatonine en vue du réveil ne se produit juste pas, donc difficile de se lever. Aussi le soir je ne sens pas le besoin de me coucher pendant que je suis dehors ou dans le salon, même s'il est 10h30-11h. Il faut que je pense à fermer les rideaux du salon pour que mon cerveau comprenne qu'il est temps de commencer à penser à dormir. C'est cool parce que ça élargit les possibilités d'activités du soir, mais quand on travaille le lendemain il faut faire attention de ne pas se laisser piéger à rentrer à minuit tous les soirs!!

    Merci de continuer à m'écrire des commentaires! Des fois quand j'en ai pas, on dirait que je pense que personne me lit, alors que je sais bien que ce n'est pas le cas :)

    xx

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  4. Bon matin,

    J'adore ta chronique. Surtout que je désire allé travailler au Yukon pour Avril 2014 ou avant. Pourrais-tu me dire ou dois-je me renseigner pour les logements et envoyer mon c.v. Si jamais tu as des contacts me les faire parvenir.. En attendant je regarde sur le site du Yukon. Je demeure a Drummondville, Québec. Merci par ta chronique...Splendide,j'adore.....

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  5. Oups, voici mon courriel danbern223@hotmail.com

    BIG THANKS

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  6. Merci Sophie de m'avoir conservée dans ta liste. J'aime beaucoup suivre tes chroniques Yukonnaises, qui nous en apprennent beaucoup sur la vie là-bas et avoir de tes nouvelles de ta nouvelle vie. Les paysages sont magnifiques, on dirait que tu vis dans une carte postale. Vous avez l'air de vous être bien adaptés. Heureusement que vous aimez le plein air ! Je te suivrai encore et encore avec grand intérêt. Doris D. xxx

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